ETUDE IV
Presse (Francais)
________________

DIAPASON
Octobre 1979
Comment écrivent-ils la musique aujourd'hui ?
jean-claude eloy
Martine Cadieu

 

ETUDE IV
Presse (Francais)
________________________________________________

DIAPASON
Octobre 1979
Comment écrivent-ils la musique aujourd'hui ?
jean-claude eloy

Jean-Claude Eloy est né en 1938. Après des études de composition dans la classe de Darius Milhaud au Conservatoire de Paris, suit les cours de Pierre Boulez à Bâle. Attiré par les civilisations d'Extrême-Orient, il a fait de nombreux séjours au Japon. Il a su, dans ses œuvres purement instrumentales, mettre en opposition les couleurs sonores tout en gardant une rigueur de structure. Il a confronté des instruments aussi différents que les percussions, les vents ou la guitare électrique, par exemple, et n'a pas fui les influences du gagaku japonais ou du raga hindou. Aujourd'hui, il se tourne vers l'ordinateur.

lssy les Moulineaux. UPIC veut dire: Unité polyagogique informatique du CEMAMU (centre créé par Xénakis). Jean-Claude Eloy tient un crayon électrique et dessine ; sur un écran de télévision apparaissent les graphismes sonores, donnés à l'ordinateur, les sons naissent. Il engrange. Il choisit. Nouvelle écriture.

"C'est une machine neuve pour moi. Terrain vierge. J'avais fait un seul essai à Stanford en 1967, avec John Chowning. Depuis quelques mois je travaille là, une fois par semaine. À mon insu, un acquis de conception et d'écriture refait surface. Même dans les situations les plus amnésiques, la personnalité revient. Depuis dix ans je m'étais éloigné de la musique "des points sur une ligne", notes... Les analyses sur la Musique Asiatique (71 sonogrammes) m'avaient démontré la richesse de la variation glissée (voix de l'Indien Daggar). À l'intérieur d'un son plus ou moins tenu, je sentais le vibrato plus ou moins variable, une différence de degré, d'amplitude de mouvement et tendais vers une musique dans laquelle le glissando reprend de l'importance (à Bâle, aux cours de Boulez le "glissando" était un fruit défendu !). Les possibilités de dessin au crayon sur une table électrique correspondent bien à ce que je cherche aujourd'hui. J'ai tendance à me nourrir de "glissés par masse", variables. L'UPIC conjugué à la logique de mes désirs, mon évolution, m'amène à des éléments qui étaient ceux de Xénakis (nuages de sons) en liaison avec mon écriture récente pour orchestre (Fluctuante-Immuable). Je renoue avec un vieux désir de mon enfance : j'étais visuel. Quand je travaillais mon piano, entre 11 et 13 ans, je mettais une carte postale devant la lampe. Le poisson magique de Paul Klee demeura longtemps : Eléments dispersés dans l'espace, êtres sans pesanteur Je rêvais d'accords qui auraient une telle force d'attraction qu'ils s'aboliraient. J'avais essayé de trouver une ligne mélodique correspondant à des volumes et des étendues planes (image de montagne). Sous la mélodie épousant le ciel, de gros blocs verticaux équivalaient aux arbres. Avec l'UPIC ces rêves d'enfance deviennent possibles. Les schémas de paysage ne sont qu'un sous-schéma. Le dessin que vous voyez peut sonner de mille manières. La version change selon la composition mise dessus."
"Dans l'écriture de Kâmakalâ on voit déjà cette tendance qui m'a conduite à l'UPIC. Beaucoup de chœurs, avec une grande ligne glissée. Par moment boucles que le chef lance et qui continuent ensuite à fonctionner. Le chef laisse filer pendant qu'il donne le départ à des structures. Combinaison de boucle. La figure musicale d'origine est écrite. Une fois qu'elle est écrite elle se reproduit sur elle-même. Masse de sons en mouvement."
"Dans l'écriture analogique de Shânti, ou de Gaku-no-Michi: il y a une notation à inventer. Problème: je vais sans doute m'y mettre. À Tokyo, j'ai systématiquement pris des notes sur tout ce qui était fait durant la composition électronique. Opérations décrites, circuits mesurés. À la limite je pourrais faire une gigantesque partition, plans, mixages. Mais aucune notation ne permet de retrouver par symboles visuels ce que l'on entend. Il y a trop de complexité. Va-t-on vers une nouvelle époque orale ? Comment retransmettre à des musiciens ce type de composition ?"
"La genèse des œuvres ? Il y a différents types d'approche selon les musiques que j'ai écrites. Equivalences s'articulent sur une technique qu'il convient d'appeler post-sérielle. Un noyau: objets musicaux. Des actions pour mouvoir ce noyau. (Etudes III). Composition abstraite".
"Kâmakalâ: Au départ j'ai eu une idée de la dynamique générale, forme globale reliée à une figure géométrique qui porte le symbole métaphysique, le triangle de l'énergie. Je ne me lance jamais dans une composition sans avoir la conception globale, la dynamique, la construction. Sans arrêt quand je travaille je repars du début, je me remets dans la situation de ré-entendre tout ce que j'ai déjà écrit depuis le début et je me demande objectivement: "Qu'est-ce qui est nécessaire maintenant ?". C'est le vide. Je me distrais cinq minutes puis je relis au tempo réel jusqu'à sentir ce qui s'impose.
"Quant à Shânti ou aux œuvres composées en studio analogique, c'est un travail d'exploration. J'ai mis trois mois avant Gaku-no-Michi pour définir un matériau aussi large que possible. Puis j'ai produit la multiplication de ce matériau. J'aime une technique souple: avoir un projet polarisateur au départ, suffisamment large pour accueillir ce que le studio peut fournir."
"Enfin, j'aime les œuvres de longue durée... Je songe à la voix."

MARTINE CADIEU

le disque
Équivalences pour dix-huit instruments
Pierre Boulez,
Solistes de l'Ensemble Instru-mental du Domaine Musical
(Messiaen : Sept Haïkaï ; Pousseur : Madrigal III).
Adès 16.001